Parfois, un album ne s’écoute pas. Il s’absorbe, comme une onde sourde ou un éclair tombant dans un paysage encore fumant de solitude. C’est ce que propose Tunde Adebimpe avec Thee Black Boltz, son tout premier projet solo, après avoir passé deux décennies à incarner la voix et la nervure poétique de TV on the Radio.
Publié chez Sub Pop, ce disque est tout sauf une suite logique. C’est une mue. Un lâcher-prise brutal et intime. Un challenge pour se confronter seul au vertige de la création. Et il y a dans cette solitude quelque chose de profondément libérateur — et terriblement vulnérable. Même si l’on retrouve certains visages familiers sur l’album (Jaleel Bunton, Jahphet Landis), Adebimpe parvient à s’émanciper d’eux. Sans ses acolytes de toujours pour porter ou réorienter les idées, il livre un objet brut, mais chargé : des collages sonores, des beats à la respiration humaine, des voix qui murmurent plus qu’elles ne chantent, comme si l’aveu avait plus de poids que l’affirmation.
Composé dans l’ombre d’un deuil intime et du fracas global post-pandémique, ce disque est un objet fragile et pulsant. Il déconcerte par sa structure — ou par son absence de structure apparente — mais fonctionne comme un journal de bord émotionnel. Il n’épouse aucune forme. Thee Black Boltz est un miroir tendu à notre époque, traversée d’ombres politiques et de deuils personnels. Il respire à contre-temps. Il ne cherche pas à séduire — il cherche à survivre. Le disque devient alors un rituel sonore.
Thee Black Boltz est un album profondément personnel, presque diaristique. Il faut l’écouter comme on lit un carnet griffonné à la lueur d’un néon qui grésille. Ce n’est pas un album qui flatte l’oreille ou qui cherche la popularité : il est nécessaire, viscéral, fragile et incandescent. Une œuvre de reconstruction.
★★★★☆
Photo by Xaviera Simmons