Trente ans de trip-hop sublimés dans un disque lumineux et introspectif.
Presque trois décennies après avoir émergé du creuset trip-hop des années 90 aux côtés de Massive Attack, Portishead et Tricky, Morcheeba revient avec Escape The Chaos, un onzième album studio qui honore son héritage, tout en s’accordant une parenthèse de sérénité dans un monde saturé. Le duo formé par Skye Edwards et Ross Godfrey poursuit son exploration d’un groove feutré et planant, conjugué à une forme de sagesse mélodique acquise avec le temps. Sorti chez 100% Records, ce nouvel opus s’inscrit dans cette veine raffinée qui a fait du groupe une référence incontournable du genre.
Dès les premières mesures de Call For Love, le morceau d’ouverture, on retrouve l’essence du groupe : une ambiance brumeuse, un groove souple et la voix éthérée de Skye Edwards, toujours aussi envoûtante. Peu de chanteuses incarnent aussi bien la douceur lucide : elle ne force jamais l’émotion, mais l’imprègne. Chaque syllabe semble caresser l’espace entre les notes. Sa voix flotte au-dessus d’arrangements quasi cinématographiques, évoquant une Soul moderne qui aurait pris un bain de méditation électronique.
Ross Godfrey continue de tisser des nappes organiques et sensuelles. Guitares slide, touches de funk discrètes, flûtes psychédéliques : tout ici évoque le confort sans mollesse, la sophistication sans ostentation.
« Call For Love est très motivant, musicalement et émotionnellement. Le monde est si confus en ce moment. L’apocalypse est toujours à l’horizon, tant personnelle que mondiale. Il est réconfortant de trouver refuge dans la musique et l’amour », confie Ross.
Parmi les autres temps forts de l’album : Peace of Me, avec le rappeur Oscar #Worldpeace, agit comme un électrochoc poétique et politique – un plaidoyer contre la banalisation du conflit dans un monde saturé de tensions. Elephant Clouds, né des sessions irlandaises, offre une profondeur aérienne et méditative. Bleeding Out se distingue par une rythmique plus brute et affirmée. Pareidolia mêle subtilité vocale et textures électroniques.
Mais ce qui distingue Escape The Chaos des précédents albums, c’est son enregistrement quasi familial, dans un esprit live, qui rappelle les débuts du groupe. Lors d’une session à Dublin, Ross et Skye se sont entourés de leur cercle proche : Jaega, le fils de Skye, à la batterie ; Steve Gordon, son mari, à la basse ; et Amanda Zamolo, épouse de Ross, à l’écriture et au chant sur Pareidolia. Cette dernière avait déjà collaboré avec le groupe sur Deep Dive et Blaze Away.
À travers ces titres, le duo maîtrise l’art d’alterner douceur et gravité, opacité et limpidité, groove et contemplation. La production de Ross est fluide et élégante, entre acoustique organique et nappes synthétiques finement travaillées.
Avec Escape The Chaos, Morcheeba livre un album aérien, profondément humain. À une époque où le chaos est partout — algorithmique, climatique, émotionnel — cet album propose un contretemps salutaire dans la frénésie contemporaine, une forme de respiration artistique. Une échappée belle dans un monde en déséquilibre.
★★★★☆
Photo by Michelle Hayward